Par margit |
Vue de l'horizon de Francfort en été 2023

 

Christophe Braouet est directeur de banque à la retraite. Depuis 20 ans, il s'engage bénévolement en tant que président de la Société franco-allemande de Francfort-sur-le-Main (1) et a récemment publié un livre au titre prometteur : "Deutschland und Frankreich schaffen das". (2) Eurolandpost (ELP) a demandé à Christophe Braouet de répondre à quelques questions sur l'Union européenne des marchés de capitaux.

 

ELP : Tout d'abord, une question de compréhension : l'union bancaire et l'union des marchés des capitaux sont-elles deux sujets différents ? 

BRAOUET: Ce sont deux aspects complémentaires de l'approfondissement du marché financier unique européen. Dans le cas de l'union bancaire, il s'agit de soumettre toutes les banques - c'est-à-dire les "producteurs" - à des règles uniformes. Un grand pas a déjà été franchi avec le contrôle des banques (du moins des 112 plus grandes banques européennes) par la BCE. Il manque encore la garantie à echelle européenne (donc unique) des dépôts, qui a échoué jusqu'à présent notamment en raison de la résistance allemande. En ce qui concerne l'Union des marchés des capitaux, il s'agit de permettre aux "consommateurs", c'est-à-dire aux entreprises et aux particuliers, d'accéder aux mêmes produits dans la zone euro: Cela commence par la titrisation et les bourses et se termine par les produits d'épargne. Tous ces produits sont encore définis au niveau national, soumis à des taxes différentes, etc. ... alors qu'il n'existe qu'un seul marché américain. L'essentiel est en effet de pouvoir maintenir notre compétitivité, en premier lieu face aux Américains. 

 

ELP: Cette fois-ci, nous voulons approfondir le thème de l'Union des marchés des capitaux. Les profanes ont du mal à comprendre ce qui suit : Pourquoi l'Union des marchés de capitaux n'existe-t-elle pas encore, alors que la libre circulation des capitaux est l'une des quatre libertés du marché unique européen ?

BRAOUET: Plus facile à dire qu'à faire : chaque État doit renoncer à ses privilèges fiscaux. C'est ce que refusent notamment le Luxembourg et l'Irlande, qui disposent de systèmes financiers disproportionnés grâce à des impôts et des réglementations réduits. Il convient de rappeler ici à l'Irlande que c'est aussi à cause du surdimensionnement de son secteur financier qu'elle a été particulièrement touchée pendant la crise financière et qu'elle a été sauvée par la communauté européenne. Le Luxembourg profite à bien des égards de son appartenance à l'UE. Jean-Claude Junker se réjouissait par exemple d'avoir pu devenir président de la Commission européenne alors que le Luxembourg ne compte qu'un pour cent de la population européenne. 

 

ELP: Le conseil des gouverneurs de la BCE (3), les gouverneurs des banques centrales allemande et française (4), le Conseil européen des chefs de gouvernement (5) (6) - tous se mobilisent actuellement pour la réalisation d'une union européenne des marchés des capitaux. Pourquoi ce projet est-il si important ?

BRAOUET: Il en va de la compétitivité des banques et des entreprises, notamment par rapport aux Etats-Unis. JP MorganChase, la plus grande banque américaine, a gagné en un an autant que toutes les banques européennes réunies. Un seul et même produit peut être distribué par cette banque de New York à Los Angeles, de Chicago à Dallas. L'épargne de Seattle peut être investie à Miami, celle de Boston à la Nouvelle-Orléans. Cela vaut pour les obligations, les actions, mais aussi pour les start-ups. En Europe, nous sommes encore prisonniers des frontières nationales à cet égard. L'épargne américaine nécessaire à la réalisation d'une nouvelle idée est bien plus importante que l'épargne nationale d'un État membre de l'UE. Il ne faut donc pas s'étonner qu'une entreprise américaine soit devenue aujourd'hui aussi grande que l'économie française dans son ensemble (la valeur boursière d'Apple correspond au PIB français). Un marché unique ne profiterait donc pas seulement aux banques, mais aussi à toutes les entreprises.

 

ELP: Quels avantages l'Union des marchés de capitaux peut-elle offrir aux citoyens, par exemple aux personnes dont l'investissement n'est pas la principale préoccupation?

BRAOUET: Les épargnants pourraient disposer de l'ensemble de la gamme de placements des fournisseurs de fonds européens. Le financement d'un bien immobilier dans un pays de l'UE pourrait se faire sans frais supplémentaires. Même les successions seraient facilitées. Il existe certes un formulaire européen unique (ENZ pour l'Allemagne, CSE pour la France): Mais il doit être traduit de manière certifiée dans l'autre langue ... absurde.

 

ELP: Le 11 mars (5), le Conseil européen a identifié, pour la prochaine législature du Parlement européen de 2024 à 2029, trois domaines de l'Union des marchés des capitaux qui doivent être traités en priorité. Quels sont, selon vous, les obstacles les plus difficiles à surmonter?

BRAOUET: Il faut avant tout convaincre les paradis fiscaux que sont le Luxembourg et l'Irlande de la nécessité d'un marché unique dans le domaine financier. Les deux pays profitent du marché unique à tous les autres égards. Mais là, on touche au financement des budgets. L'Allemagne et la France doivent également se rapprocher, à commencer par les bourses nationales, qui sont en concurrence pour attirer les investisseurs internationaux. 

 

ELP: Comme la réalisation de l'Union des marchés de capitaux se fait attendre, le ministre français des Finances et de l'Economie Bruno Le Maire a fait une proposition (7) à l'occasion de la réunion informelle des ministres de l'Economie et des Finances du 22 au 24 février : les Etats membres qui le souhaitent sont invités à prendre avec la France les trois mesures suivantes : se soumettre à une surveillance européenne volontaire des marchés de capitaux (ESMA), créer un produit d'épargne européen et permettre la titrisation des créances des banques. Que pensez-vous de cette proposition?

BRAOUET: Je trouve que c'est une proposition très constructive. En français, on dit : "l'appétit vient en mangeant". Autrement dit, le reste suit ... et en fin de compte c'est bon, la plupart du temps!
 

ELP: Monsieur Braouet, merci beaucoup pour cet entretien!


 

  1. https://www.dfg-frankfurt.de/

     
  2. https://www.nomos-shop.de/tectum/titel/deutschland-und-frankreich-schaffen-das-id-112732/

     
  3. https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2024/html/ecb.pr240307~76c2ab2747.en.html

     
  4. https://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/mehr-wirtschaft/nagel-und-de-galhau-warum-es-eine-kapitalmarktunion-braucht-19602905.html

     
  5. https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2024/03/11/statement-of-the-eurogroup-in-inclusive-format-on-the-future-of-capital-markets-union/

     
  6. https://www.consilium.europa.eu/de/meetings/european-council/2024/04/17-18/

     
  7. https://x.com/RPFranceUE/status/1760948224456556972